Liu Bao : La fin de l'errance

Liu Bao haussa les épaules.

-"J'accompagnerai donc mon grand frère. Jusqu'ici, j'ai été plutôt bonne pour créer du désordre..."

C'est la nuit tombé que les deux groupes se séparèrent : le premier, composé de Tao et de Ma Huo Yan, se glisserait vers la tour du tambour en attendant les premières émeutes qui ne manqueraient pas de déclencher la sortie des soldats qui y étaient stationnés. Le second comprenait Liu Bao et Zhang Hei Shan, ainsi qu'une dizaine de mendiants, sensés créer une diversion en ville.

Alors que le groupe le plus imposant sillonnait les rues largement éclairées par les lanternes du marché de nuit, un souffle de méfiance commença à naître dans la foule de badauds qui se pressaient pour acheter des galettes de blé et des brioches à la viande.
Le bruit avait déjà couru que la guilde des mendiants avait saccagé une échoppe et la crainte que les représailles Jin ne tombent rapidement se faisaient sentir...

- Alors ! On casse un truc ? souffla Zhang Hei Shan...

Une vendeuse de broches quitta, aux glapissements de la jeune aveugle, son petit stand pour tenter de rejoindre la fillette

- Silence malheureuse, tu vas ...

Mais la poigne bourrue de Zhang Hei Shan le retint pour le reléguer à l'écart.

- Alors les couilles molles, on se laisse insulter par une gamine ?! Ha ! Je suis Zhang Hei Shan et j'écrase le général Nuarchi entre mon cul ! Il y aura encore de la place pour vous !

Des insultes fusèrent en direction du petit groupe, mais l'un des mendiants fît effondrer une tente de nourriture d'un marchand de brochette Xia et une bagarre commença à éclater dans la foule...
La cavalerie se fît entendre dans la grande ruelle et trois soldats se frayèrent un chemin à coup de fouet pour tenter de faire entendre leur voix

- Au nom du roi de Kai Feng ! Dispersez vous !

L'un des mendiants jeta une pierre au visage du Jin, qui tomba à la renverse...Le second souffla dans un cor et des lumières commencèrent à s'allumer au niveau de la tour du tambour...

Le cheval hennit à l'impact et s'écroula d'un trait, laissant à peine le temps à son cavalier de s'écrouler dans un étal de choux, qui s'effondra, laissant sa marchandise rouler sur le sol...
Un second cavalier ruait dans la foule, lance en avant, balayant un des mendiants au passage et continuant sa course vers Zhang Hei Shan.
Le colosse se retourna, saisit la hampe d'un geste brusque et fit basculer le cavalier pour l'envoyer valdinguer dans une estrade où se produisait quatre vieux musiciens...Le corps s'écrasa au sol, devant un vieil homme qui soupira en ouvrant calmement l'étui de son guzheng, qu'il referma paisiblement sur l'instrument.

La panique commençait à se répandre dans le quartier du marché et les pas cadencés des militaires résonnèrent dans l'artère principale de la ville

- La garde arrive ! Tâchons de ne pas rester trop longtemps hurla un mendiant dont la voix mourut brusquement, lorsqu'une pointe de lance s'arrêta à quelques centimètres de son visage...

Dans le chaos de la foule qui se dispersait se tenait un soldat aux larges épaules, une natte descendant bas sur son manteau de zibeline, le visage à moitié caché derrière un chapeau de paille ornée d'une plume de paon...
D'un geste, il claqua le plat de la pointe de sa lance sur le visage du mendiant qui tomba au sol puis, il enchaîna quelques passes qui eurent pour effet de faire reculer la masse de vagabonds agglutinés dans la zone...

- Le sous-préfet Sukhsaha... fût la seule remarque qui fusa dans le groupe, qui commençait déjà à battre en retraite vers l'endroit d'où il venait...

Le guerrier avança seul vers le centre de la place puis lança rapidement son bras, lance en avant en direction de l'un des émeutiers..Celui-ci s'écroula, mais à la grande surprise des spectateurs, le bras de Sukhsaha ramena l'arme qui s'était fichée dans un simple pomme qu'il prit dans sa main et commença à manger.
L'homme au sol avait du simplement perdre connaissance sous l'effet de la frayeur...

- La vie est faite de choix, criminels et vous y avez le droit autant que les autres, même si cela me répugne...Soumettez vous à la justice du Ciel ou tombez devant celle d'un simple mortel... fit-il en pointant le groupe de sa lance, tout en continuant à mâcher son fruit...

- Méfiance, gamine...Il doit être plus coriace que ces têtes de noeuds qui roulent dans les choux... cracha Zhang Hei Shan, fixant toujours l'adversaire, qui entamait une course régulière et calme en direction du groupe.
Galvanisés par les propos de Liu Bao, les mendiants qui n'avaient pas fuit coururent d'un seul homme vers l'officier Jin, qui s'éleva brusquement dans les airs, exécutant un arc de ciel parfait avec sa lance.
La pointe brilla un instant d'un éclat terrible à la lumière des lanternes du marché, puis, lorsque le Jin retomba, un genoux au sol, derrière la demi-douzaine d'homme, ceux-ci se tenaient le visage de douleur, le sang coulant à travers leurs doigts...

- "Tout contrevenant manifestant violence et saccage dans le territoire régit par l'autorité toute puissante du roi du Jin se verra affligé de cécité, sur ordre du préfet et de ses représentants".

Un sourire amer se dessina sur ses lèvres;..

- Que faire lorsque le coupable est déjà aveugle ?

Faisant tournoyer sa lance, il la pointa vers Liu Bao avec souplesse expulsant d'un geste le sang qui s'y trouvait...
Le vent siffla dans les oreilles de la jeune aveugle alors que la froide pointe d'acier se dirigeait vers son visage

Le sifflement de la lame, la vibration ondulatoire de la perche souple : cette attaque réveilla dans la fillette une peur instinctive, antique

* Un serpent !*

Comment vaincre un ennemi si rapide ? Liu Bao savait que sa technique était faite pour briser les attaques frontales, mais était faible face aux attaques souples... Reculant à pas rapides, de manière à gagner un peu de temps, elle réfléchissait à toute vitesse. Les hurlements de douleur des mendiants prouvaient pourtant que la frappe était pleine d'énergie - sous une forme différente, peut-être.

* Vraiment comme le serpent, donc. Il s'approche avec une trajectoire imprévisible, et se jette soudainement pour cracher son venin... Je dois l'attraper à ce moment-là ! *

Soudainement, elle s'arrêta, et prit une profonde respiration, ses quatre sens hypertrophiés en éveil.

* Ma peur est son armure *

L'énergie, diffuse et souple, s'approchait d'elle à grande vitesse. Mais au moment même de la frappe, elle se concentrerait en un point précis, la pointe de la lame. Elle ne la dévierait pas - elle la captuerai, comme on saisit la vipère à la gorge !

je balance la purée en neigong, hein, tnt pis si je suis à genou après

Le choc fût violent et la douleur qui traversa le bras et la main de Liu Bao l'avertit que quelque chose n'avait pas fonctionné comme prévu..
La pointe avait traversé la paume de la jeune fille et s'était brisée sous la pression, la laissant tomber sur le sol, un éclat d'acier à travers le poignet, profondément fiché..
Le préfet avait titubé en arrière sous l'impact, mais avait repris équilibre en s'appuyant sur les restes de son arme détruite.

- Ha ! cria Zhang furieux Le trou du cul !

Genoux à terre, le poignet sanguinolent, Liu Bao pouvait entendre les militaires se rapprocher de leur position...

- On reviendra leur mettre des tartes plus tard ! Laissons les cloportes faire croire qu'ils commandent ici hurla le colosse en direction de la jeune fille qu'il releva d'une puissante poigne...

La tour du tambour retentit aussitôt de battements frénétiques : plusieurs incendies s'étaient déclarés dans la réserve de grain de l'armée...Le petit groupe de Tao avait su profiter de la diversion pour réaliser son action...

- Ha ha ! Du gratin de charbon pour ces fils de chien ! ricana cruellement Zhang Hei Shan

- Hé ! Criminelle du Song...Fuis comme le rat que tu es ! prononça distinctement le préfet à l'intention de Liu Bao

Un éclair de douleur traversa la fillette, si puissant que même sa volonté hors du commun ne pouvait plus maîtriser son corps. Alors qu'elle s'apprêtait à placer un unique et dernier coup, elle sentie une force irrestistible l'élever dans les airs. Elle mis quelques secondes à comprendre qu'il s'agissait de la Montagne Noire. Au loin, le bruit caractéristiques de brasiers suivaient l'odeur puissante de l'incendie. Les mendiants avaient réussi.

D'une voix faible, elle demanda à la montagne

-"Les mendiants - il leur a vraiment crevé les yeux ?"

Devant la réponse positive de la Montagne Noire, elle reprend

-"Ecoute-moi bien Da Ge, je le tuerai. Je vais te dire un secret : je n'ai jamais cherché à tuer personne, avant. Lui ca sera le premier. Même si il est au sol, même si il implore pitié, je prendrai sa vie, et je l'offrirai aux mendiants. Je le ferai, je le jure devant les cieux !"

La poigne de l'homme se fit plus ferme...Visiblement, il était ému par les propos de la jeune fille...

- Ta ! Tu feras ça quand tu seras en état de te battre...Garde sa tête au frais. On a tous le temps de le revoir...File, maintenant !

Il poussa brutalement la jeune fille vers une ruelle et renversa un étal où bouillait un chaudron d'huile pour former un épais mur de fumée qui fit reculer les soldats...

- Allez ! On part !

Liu Bao saisit le vetement de Zhang et annonce

-"Je te suis, tu peux courir"

Elle se laisse guider jusqu'à la sortie de la ville

Une fois les portes atteintes, une forte odeur de brûlée se répandit dans toute la ville dont les rues se remplirent d'une foule effrayée et curieuse à la fois...

Essoufflés par leur course, les deux émeutiers se reposaient désormais, appuyés contre la paroi de pierre froide d'un établissement de bains publiques...
Une jeune femme portant une lourde jarre d'eau passa sans les apercevoir et rentra dans le bâtiment, les laissant dans une rue déserte, à peine éclairée par quelques lanternes des thermes, d'une maison de passe et d'un marchand d'alcool somnolant paisiblement...
L'agitation du centre-ville semblait elle, être à son comble et le quartier brillait de mille feu, alors que les soldats semblaient grouiller dans les principales artères...

- Repose toi là, gamine...Je vais chercher quelque chose pour ta main...C'est vilain. fit le géant d'un air paternaliste... N'empêche: quelle farce ! On s'est bien amusé...

-"Je t'attends là, Da Ge. Ne tarde pas."

Liu Bao s'accroupit, saisit un poignée de terre et s'en macula le visage et les vêtements. Elle dissimula ensuite sa main blessée sous sa tunique, puis baissa la tête et tendit l'autre main, comme une mendiante demandant l'aumône.

* Personne ne fera attention à moi. Essayons de mettre cette pause à profit. *

Tentant de faire le vide en elle, elle se concentre sur sa respiration. Lentement, une représentation des lignes d'énergies traversant son propre corps se dessine dans son esprit, dans laquelle sa main et ses centres vitaux apparaissaient comme des zones perturbées. En se concentrant, elle eut le sentiment qu'elle pourrait influer sur ces zones - en bloquant certains flux, ou au contraire en en renforçant d'autres. De très fines contractions de certains muscles avaient cet effet... Elle s'efforça, autant que possible, de clamer les perturbations qui affectaient son corps.

La douleur de la jeune fille s'adoucit progressivement, alors que le vide se faisait dans son esprit : le sang ne cessait pourtant pas de couler et son bras commençait à s'engourdir.
Un pas léger et un glissement de soie se firent entendre à sa gauche et Liu Bao ressenti un léger tressaillement de la part de la personne qui venait de passer à coté.
Une voix douce de femme lui glissa alors

- Tu t'es blessée ? Tu es seule ? Tu as une plaie assez vilaine...Veux tu que je te nettoie cela ? fit la voix contrite et pleine de tendresse.

-"euh... non Da Jie, j'attends mon Grand Frère... Il va s'inquiéter si je ne suis plus là."

- Tu vas me donner ça, tête de fion, ou je saccage ton magasin et je t'arraches les bras !
- B...Bien sûr seigneur...Je...Voilà votre onguent !

Une gifle résonna d'une des échoppes d'herboristes allumée à quelques mètres de la rue et le son caractéristique d'une étagère qui s'effondre.
Le pas lourd de Zhang Hei Shan se rapprochait indiscutablement de la position de Liu Bao

- Je suppose que c'est lui ?

La montagne noire arriva à hauteur des deux femmes et cracha au sol

- Va servir du vin à ton mari femme et ôtes toi de mes pattes...Nous allons partir...

- Et appliquer un onguent sur une plaie sale, je suppose...sans laisser de repos à une perte de sang aussi importante...Clairement, vous êtes le meilleur soigneur qui soit Da Ge...

- Retourne torcher tes mômes et ne nous rebats pas les oreilles, foutue femelle ! Je vais être moins poli d'ici cinq minutes !

-"Ecoute-là, Da Ge, elle a l'air de savoir ce qu'elle dit."

* Et elle est venue m'aider d'elle-même *

Se tournant vers la femme, et dit avec conviction

-"Les cieux te payeront, Da Jie, pour cet onguent. Personne n'a eu à regretter de m'aider."

- Cet onguent ? C'est ton ami qui est aller le chercher...Je tiens un établissement de ...soins du corps dans les parages. A l'heure actuelle, nous avons peu de clients...Prenez-y asile cet nuit. Peut-être que certains de nos services pourront rendre votre grand frère moins agressif... fit-elle avec un rire moqueur

- Grmpf...Nous avons la moitié de l'armée aux fesses ! C'est bien le moment d'aller aux putes !

Liu Bao haussa les épaules. Elle n'avait pas l'habitude de refuser la charité, et son état de santé lui interdisait de tenter une sortie en force.

-"La montagne noire deviendrait-il un petit chaton effrayé au lit ? Où est-ce la perspective d'un bain qui te fait si peur ?"

* Laisses-moi te sauver la vie, imbécile !*

Le colosse maugréa et le gloussement de la jeune femme convaincu Liu Bao qu'il s'était finalement laissé convaincre...
Obligeamment, la courtisane guida la jeune aveugle dans les rues du quartier des portes Est, jusqu'à l'établissement de bain.
La vagabonde fût accueilli par un charivari de voix fluettes et amusées, ainsi que par certains mouvements moqueurs de la part des hôtesses qui se trouvaient dans la salle principale...

- Shan Sa, tu as encore ramassé un oisillon blessé ? Nous finirons vite par devenir un orphelinat à ce rythme là pouffa une première

- Oui, mais cette fois-ci, l'oisillon est livré avec un bel aigle en prime...C'est nettement plus intéressant ! s'esclaffa une seconde

- Silence, idiotes ! coupa Shan Sa et aidez là à se décrasser avant que je la présente à la grande Soeur Nü !

Liu Bao se laisse faire docilement

Aussitôt dit, aussitôt fait, Liu Bao se retrouva bientôt dans une bassine fumante, entourée de deux courtisanes affairées à la débarrasser de la crasse qui la couvrait...

- Tian ha ! Il faudrait au moins trois baquets d'eau pour se débarrasser de toute cette saleté !

La chaleur apaisante endormit presque Liu Bao, peu habituée à un tel traitement de faveur

- Aya ! Elle est blessée ! Tu t'es roulée dans de la vaisselle brisée pour avoir autant de coups ?

- Tu sais bien qu'elle n'y voit rien ! C'est normal, elle doit se cogner partout !

Un cliquetis presque imperceptible de perles de jade et de bracelet d'argent commença à poindre dans le couloir, à coté de la salle du bain

- Aya, c'est la grande soeur Nü...Dépêche toi de lui finir les cheveux !

- C'est aux ciseaux à soie qu'il faudrait les laver, ces pailles là !

- Pas assez de temps ! Fais ce que tu peux....

Liu Bao, qui n'avait jamais eu d'affinité particulière avec l'élément liquide, panique un peu une fois dans la bassine, entourée des deux femmes dont elle ne comprend pas réellement les intentions.

-"Ah ! Mais... Non... Aya ! Ca fait mal !"

* Qu'est-ce que je suis, un jeune chiot !? *

L'arrivée de Nü détourne cependant son attention de sa propre intégrité corporelle.